Au théâtre

Interview de Katerini Antonakaki

autour du spectacle Variations sur un départ

Et si Pénélope partait à la recherche d’Ulysse ? Qu’est-ce qu’elle emporterait avec elle ? Supposons : sa maison, une chaise, son métier à tisser, ce qu’elle voyait par la fenêtre…

 

Rencontre avec Katerini Antonakaki, conceptrice de la pièce Variations sur un départ

 

 

Tu as choisi la figure de Pénélope, une des nombreuses femmes de la littérature ou de la mythologie en perpétuelle position d’attente. Pourquoi ce choix ?

 

Ce spectacle est la suite d’une performance appelée Le voyage immobile de Pénélope, qui s’articulait déjà autour de ce personnage et de la question du mouvement et de l’immobilité.

 

Le choix du thème, des personnages de mes créations est toujours intuitif. Ce qui m’a intéressée, c’était de partir de l’hypothèse que Pénélope ne voulait pas simplement attendre Ulysse, mais au contraire qu’elle allait partir le chercher. Cela me permettait de créer une suite à l’installation où l’on voyait Pénélope en position d’attente dans sa maison.

 

Le mythe permet aussi de transposer cette figure dans un autre espace-temps. Or, il se trouve que, par le hasard des choses, lors de nos résidences de création nous habitions souvent avec des migrants. Donc toute notre création reposant sur les thèmes du départ et du fait d’emporter sa maison, croisait nos travaux d’improvisation influencés par les personnes migrantes qu’on rencontrait.

 

Je suis partie du personnage pour créer une histoire, et non l’inverse. Mais j’ai tout de même inscrit des références à la figure mythologique, et notamment aux deux rêves de Pénélope racontés par Homère. 

 

 

« Vous rêvez ? Dans quelle langue rêvez-vous ? »

 

 

Peux-tu nous décrire comment la scénographie traduit l’ambivalence entre l’immobilité et le mouvement ? Comment l’as-tu construite ? 

 

Je suis d’abord partie de la maison, pour laquelle je voulais quatre faces qui représentent quatre points de vue différents, quatre saisons, quatre points cardinaux… La maison, transparente, présente donc quatre ouvertures : une fenêtre, une porte, une ouverture vers le public, et le métier à tisser. Le métier traduit une symbolique de l’écriture, de la créativité, et du temps qui passe. Rien n’est donc figé dans la scénographie, tout a vocation à « sortir ».

 

Pour construire le spectacle, j’ai travaillé avec Sébastien [Dault] qui vient du monde du cirque. Il a donc introduit l’idée de basculement en posant la cabane sur un bastaing, ce qui lui permet de tourner et c’est à moi de trouver différents équilibres en utilisant les quatre points cardinaux.

 

Cela me permet aussi de créer différents rapports au public, dont je suis plus ou moins proche.

 

La maison tourne (donc se meut) mais uniquement autour d’un axe central. Elle revient donc toujours à sa position initiale. Quelle en est la portée symbolique ?

 

Changer en permanence de point de vue mais revenir toujours au même endroit conduit à se demander si Pénélope est vraiment partie. Il y a donc une confrontation entre ce qu’elle voudrait pouvoir faire et le fait de les réaliser.

 

On se demande alors ce qu’il y a de plus fort entre réaliser nos vœux ou seulement les imaginer.

 

Le texte grec, à la toute fin du spectacle demande ainsi : « a-t-on vraiment bougé ou sommes-nous restés figés dans le tableau de Chirico ? ». Je fais référence au tableau Le retour d’Ulysse de Giorgio de Chirico. On y voit la mer, dans une chambre. Ulysse se tient dans un bateau sur cette mer, dans sa chambre. A-t-il voyagé ? Ce tableau a beaucoup inspiré la création du spectacle. 

 

 

Giorgio de Chirico, Le retour d’Ulysse, 1968. 

 

 

Aussi, j’ai dans l’idée que lorsqu’on se déplace, lorsqu’on migre, on emporte sa « maison » symbolique (sa culture, sa langue, ses mémoires), donc une part de nous ne parviendra pas à réellement tout quitter. 

 

La traversée de Pénélope n’est donc pas forcément physique mais il s’agit peut-être plutôt d’un voyage dans le temps, ponctué par des épreuves.

 

 

Voyager, fuir, c’est risquer de rencontrer l’inconnu, de ne pas comprendre l’autre et de ne pas être compris. Tu sembles traverser autant les pays, les langues que les disciplines artistiques. T’est-il déjà arrivé de te retrouver dans une position d’incompréhension ?

 

Au niveau personnel, je suis grecque, et même si je parlais Français avant de venir en France, j’ai vécu ce sentiment : « tu n’es pas d’ici ».

 

Dans les spectacles que j’ai créés ou joués, je n’ai jamais ressenti d’incompréhension mettant en cause la culture ou le pays. J’ai l’impression de donner des œuvres assez ouvertes pour être perçues de différentes manières, et donc toucher les gens par plusieurs biais. Nous avons joué dans différents pays, et je constate la différence de perception du public, mais il ne se montre jamais hermétique.

 

Je crée des spectacles « atypiques » qui dérangent finalement plutôt les programmateurs ou les institutions, plus craintifs que leurs publics. C’est comme pour des instituteurs avec leurs élèves : ce sont les personnes responsables qui ont le plus peur.

 

 

As-tu déjà craint de te lancer dans l’inconnu, dans une nouvelle discipline ?

 

J’ai baigné dès toute petite dans les domaines plastiques et l’architecture. Je suis ensuite venue en France pour faire de la danse, et j’ai continué avec les marionnettes et la voix. Tout s’imbriquait : le mouvement, l’art plastique, le jeu et la voix. C’est en école que la scénographie a pris une grande importance dans mon travail. Cela me plait énormément de pouvoir m’appuyer sur tous ces domaines pour créer des objets scéniques bizarres (rires)…

 

Sébastien, avec qui je travaille pour la compagnie La main d’œuvres, apporte encore un nouveau domaine : le cirque. L’équilibre du spectacle se fait avec tous ces ingrédients. 

 

 

 

Propos recueillis le 10/01/2018 par Julie Geffrin